Wallonie: les architectes contestent la fin du visa

Le Soir – 23 janvier 2017
Eric Deffet

En Wallonie, le nouveau Code de développement territorial « version Di Antonio » s’engage véritablement dans la dernière ligne droite avant sa mise en application. L’entrée en vigueur officielle est prévue le 1er  juin prochain. Mais dès le 31 janvier, le ministre régional sera à Charleroi pour expliquer aux citoyens, aux entrepreneurs et aux administrations toutes les dimensions de cette réforme qui chamboulera la vision sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme.

 

Dans la salle ce jour-là, on devrait compter des architectes. Par la voix de son Ordre francophone et germanophone, la profession s’insurge en effet contre la disparition de la procédure de visa. Celle-ci n’apparaît plus comme telle dans l’arrêté réglementaire adopté le 22 décembre dernier par le gouvernement wallon, et qui finalise le Code dans tous ses aspects techniques. Les architectes parlent d’« irresponsabilité totale » dans le chef de l’exécutif PS-CDH.

De quoi parle-t-on ? La législation actuellement en vigueur impose à l’architecte de solliciter le visa de son Ordre pour chaque demande de permis d’urbanisme qu’il compte introduire. Ce visa est joint aux documents déposés sur le bureau de l’administration. Dans la très grande majorité des cas, la démarche relève de la pure formalité. Elle se réalise de manière électronique.

« Pour recevoir ce visa, précise Olivier Dupuis, président de l’Ordre, le confrère doit être inscrit à l’Ordre et être assuré. Il ne peut pas faire l’objet d’une sanction ou d’une suspension. Il ne peut pas être fonctionnaire et agir à titre privé. Nous sommes parfois amenés à effectuer des vérifications et à refuser des visas, même si cela reste bien sûr l’exception. »

Le passage par la case « Visa » ne sera plus de mise à partir de l’été prochain : « Lors de l’introduction d’une demande de permis, cette réforme va favoriser l’exercice illégal de la profession d’architecte, craint Olivier Dupuis. Plus aucun contrôle ou filtre ne sera mis en place par l’Ordre. Il ne faut pas compter sur les autorités qui délivrent les permis pour vérifier si l’architecte qui introduit la demande est en droit d’exercer la profession. Elles prétendent déjà être submergées de travail… »

L’Ordre prévient : « Si un permis est accordé en réponse à une demande introduite par quelqu’un qui n’est pas en droit d’exercer la profession d’architecte, l’autorité administrative devra être rendue responsable de tout problème qui surviendrait en cours de chantier. »

Particulier ou entreprise, les maîtres d’ouvrage n’auront pas de leur côté toutes les clés en mains pour vérifier le statut de l’architecte pressenti en amont du dossier, ce que suggère désormais le ministre Carlo Di Antonio : « Les intérêts du consommateur sont gravement lésés, poursuit Olivier Dupuis. Comment pourra-t-il avoir la certitude que son architecte est correctement assuré ? Ou que celui-ci ne fait pas l’objet d’une mesure disciplinaire ? Et en définitive, comment pourra-t-il avoir la certitude que son architecte est vraiment… architecte ? »

Selon l’Ordre francophone et germanophone, le visa était une garantie de sérieux pour le maître d’ouvrage. Il était aussi le garant du sérieux de la profession. « L’exigence du visa constitue une lutte efficace contre les dérives de notre profession », commente encore le président. Il signale au passage que des documents présentés par des architectes qui ne sont pas reconnus relèvent pénalement du faux en écriture.

La colère des architectes trouve aussi sa source dans une autre réforme. Si le gouvernement wallon n’impose plus de contrôle sur les architectes, un projet de loi fédéral envisage de confier à ceux-ci le contrôle des entrepreneurs : « Nous devrions en effet à l’avenir contrôler le respect par l’entreprise de son obligation d’assurance. Les nouvelles réglementations nous imposent de plus en plus de responsabilités alors que l’exécutif wallon ouvre la porte aux abus dans notre profession. »

« Dans ce dossier, c’est le monopole de l’architecte garanti par la loi qui est menacé », conclut Olivier Dupuis. L’Ordre lancera donc ce lundi un appel solennel au gouvernement pour qu’il effectue une marche arrière.

Di Antonio: «Une simple question de bon sens»

PAR ERIC DEFFET

Au cabinet de Carlo Di Antonio, on s’étonne de la colère affichée par l’Ordre des architectes : « Les architectes ont été associés à la rédaction du Code de développement territorial. Ils parlent aujourd’hui d’irresponsabilité de la part du gouvernement. Nous pensons exactement l’inverse. Ce visa de l’Ordre relève de la paperasserie inutile. Il est attribué en fin de processus et donc beaucoup trop tard. Nous voulons au contraire qu’au début de sa démarche, le maître de l’ouvrage vérifie lui-même sur le site de l’Ordre que l’architecte de son choix remplit toutes les conditions légales fixées pour l’exercice de sa profession. Si ce n’est pas le cas, il est encore temps d’en changer. »

Selon l’entourage du ministre, les vérifications suggérées relèvent du jeu d’enfant et sont totalement gratuites. « Menées en amont du dossier, elles relèvent finalement du simple bon sens, nous précise-t-on. Le particulier ou l’entreprise qui a des projets dans le domaine de l’immobilier a envie de savoir d’emblée si l’architecte dispose des assurances nécessaires pour faire face à un problème qui surviendrait sur un dossier. »

Chez Carlo Di Antonio, on précise aussi que les administrations locales ou régionales qui octroient les permis restent en mesure de contrôler la validité des demandes qui leur parviennent, ce qui offre une garantie non négligeable aux maîtres d’ouvrage.

Dernier élément de défense avancé par le ministre wallon : « Il ne faut pas perdre de vue que le visa accordé par l’Ordre des architectes n’est valable que pour une durée de trois mois. En d’autres termes, il ne couvre plus les éventuels problèmes au-delà de ce délai, par exemple si des retards interviennent dans la procédure administrative. Le contrôle en amont par le maître d’ouvrage puis la vérification par les fonctionnaires lors de la délivrance du permis couvriront l’ensemble de la séquence. »

« Dans la capitale,   les problèmes  sont nombreux »

E.D.

La pratique du visa délivré par l’Ordre des architectes est déjà de l’histoire ancienne à Bruxelles. La Wallonie suit donc le mouvement. Pas de quoi rassurer Olivier Dupuis, le président de l’Ordre qui couvre l’espace francophone :  « Le nombre de cas d’exercice illégal de la profession a augmenté dans la capitale, c’est indéniable. Au détriment des maîtres d’ouvrage. Quand le pot aux roses est découvert, il est souvent trop tard. On rencontre des cas d’architectes non inscrits, de personnes qui n’ont pas le diplôme ou d’architectes d’intérieur qui trompent leur interlocuteur. Je pense que nous ne sommes pas loin d’un cas problématique par semaine. »

 

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